PRIÈRE POUR LA SYRIE
PAR TONY
HOMSY, SJ, LE
6
SEPTEMBRE 2013
Jésus, mon ami, je ne
te demande pas ces choses souvent, mais, qu’en serait-il si tu étais un jeune
homme Syrien âgé d’une trentaine d’années?
Je te pose cette
question naïve – mais ce n'est pas vraiment une question. Je la pose pour te
raconter comment les deux années et demie passées ont mené la Syrie – mon pays
– à un nouveau tournant d'où nous ne pouvons plus revenir en arrière.
Je sais que la Syrie n’est
pas étrangère pour toi, car tu as passé presque toute ta vie si proche d'elle.
Je sais que tu connais la couleur de notre terre, que tu as rencontré Paul près
de notre capitale, Damas.
Je ne parle pas de ça
parce que j’ai peur de l’avenir ou des conséquences de la guerre – de quoi que
ce soit d’extérieur. Je te parle de ces choses parce que je veux être un chrétien
au fond de moi-même, pas simplement membre d’un groupe qui cherche à survivre.
Je veux vivre une vie chrétienne, comme quelqu’un qui a été baptisé pour être
prêtre, prophète et roi – comme toi. Je te pose ces questions car je me sens
perdu et je n’arrive pas à trouver des réponses qui m’apportent la paix.
Généralement je veux être comme toi, mais aujourd’hui – juste aujourd’hui – je
désire inverser les rôles.
Comment réagirais-tu
si tu étais à ma place? Aujourd’hui je veux que tu sois comme moi, Seigneur,
tout en restant mon Seigneur. Je le veux pour que tu puisses me guider. Pour que
je sache comment vivre en bon chrétien.
En effet nous ne
sommes pas si différents. Ce que tu as vécu il y a deux mille ans était très semblable
à ce que je vis actuellement. Je suis né sous une dictature. Comme beaucoup de Syriens,
moi aussi j’ai rêvé du jour de la libération. Te rappelles-tu encore le jour où
tu es né sous Hérode? Et la terreur ? Fais que je vois cette situation de la
même façon que tu as vu la tienne. Donne-moi d’y voir non seulement la tyrannie,
mais aussi un appel – comme le tien, comme celui que tu as senti – qui m’encourage
à changer ce monde.
Et ta famille, je
suis sûr qu’elle a fait face à des problèmes quand la bureaucratie aveugle a demandé
à Joseph et Marie d’aller à Bethléem pour s’inscrire là-bas. Je sais, moi
aussi, ce que veut dire faire face à cette bureaucratie jour après jour. Tout
ce que je veux pour mon pays c'est le progrès. C’est pourquoi, aujourd’hui,
alors que partout dans le monde les gens prient pour la paix dans mon pays, je
te demande de m'accorder – de nous accorder à nous tous – tes dons afin que je
puisse être patient et comprendre que tout prend du temps. Et pourtant, Seigneur,
est-ce que la paix peut arriver plus tôt ? Et le progrès aussi ?
Je sais que tu n’as
pas besoin d’une connexion Internet pour voir les atrocités que le monde voit,
le massacre d’enfants et de femmes. Sans doute ça doit être semblable à ce que tu
as entendu – les histoires des massacres à Jérusalem, comme celui commis quand
toi tu es né, petit enfant impuissant. Je me demande si tu t'es senti pris au
piège quand tu gisais dans la mangeoire alors qu’avait lieu le massacre des
innocents. Moi aussi je me sens pris dans un piège, comme un enfant impuissant
qui ne peut pas encore parler. Aujourd’hui, je te demande de m'accorder le don
de la liberté, la liberté de ne pas répondre à une telle violence avec encore
plus de violence afin que je sois doux et n’agisse pas par violence.
Te rappelles-tu
encore le jour où poussé par l’Esprit Saint, tu as quitté ta maison pour aller au
désert ? Est-ce que Marie ne souhaitait pas que tu y restes ? Il me semble
impossible qu’une bonne mère puisse souhaiter que son fils quitte – mais les
mères syriennes, ces jours-ci, préfèrent ressentir l'absence de leurs époux et
fils. Mieux vaut savoir qu’ils sont sains et saufs, loin de la maison, que dans
des cercueils. Aujourd’hui, je te demande de consoler toute mère en deuil, et
toute mère loin de ses enfants. Conforte toute veuve et toute bien-aimée. Je
suis un de ces fils loin de la maison, Seigneur. Je suis loin de ma maison et
je sens l’attente dans la peur et la panique anxieuse de ces jours à travers ma
famille et mes amis.
Est-ce que le
sifflement, la plainte stridente et l’explosion des missiles lancés d’un
quartier à l’autre ressemblent au tonnerre que tu as connu ? Sais-tu que la
peur que tes disciples ont senti quand ils dormaient dans la barque n’est
qu’une ombre de la peur que mes amis et ma famille ressentent au bruit des
bombes ? Aujourd’hui je te demande de nous donner le courage afin que nous ne
nous sentions jamais plus dans l’insécurité – car nous te sentons près de nous.
Sais-tu, Jésus, que
je n’ai jamais porté une arme? Je ne sais même pas comment ça s'utilise. C’est
pourquoi c’est étrange qu’une partie de moi désire que quelqu’un, quelqu’un avec
des armes puissantes, intervienne pour nous libérer de notre misère. C’était
l’appel du Pape pour la paix qui a suscité un petit morceau de désir de paix
dans mon coeur. Et puis je me suis rappelé que, toi aussi, tu avais refusé de
porter des armes, même pas une pierre à lancer contre une supposée pécheresse.
Aujourd’hui je te demande de m'accorder le don d’un coeur en paix afin que je
puisse demander la paix et l'entente, plutôt que d’employer la force.
Avec quelle rapidité
les armes chimiques ont tué autant d’enfants innocents. En un clin d’oeil. Mon
diplôme en chimie ne m’aidera pas à te décrire quelle odeur a ce gaz toxique,
ou ce que sent un être humain quand il est en train d’en mourir. Mais tu sais
ce que signifie souffrir et étouffer en mourant. Aujourd’hui, je te demande le
don de la compassion afin que nous puissions partager la souffrance et la
passion de ces innocents.
Tant de mes amis ont
quitté la Syrie, certains avant, d’autres après cette crise. Pourquoi es-tu
revenu à Jérusalem ? N’avais-tu pas remarqué le succès que tu avais eu en
Galilée et dans la Décapole ? N’avais-tu pas senti la joie de t’asseoir et de
manger avec les amis et les étrangers ? Pourquoi es-tu parti pour aller à
Jérusalem quand tu savais ce qui t’attendait ? Est-ce parce que toi aussi tu
n’as appris à aimer Jérusalem qu’une fois que tu l’avais quittée ? Aujourd’hui
je te demande de nous accorder la fidélité afin que nous aussi nous puissions
souhaiter revenir chez nous, aimer la Syrie de nouveau.
Aujourd'hui, Jésus,
je vais te révéler un secret que je n’ai jamais révélé à personne auparavant.
D’habitude, tu sais, ce n’est pas bien pour moi de parler des fautes de ton Église
– mais tu ne t’es jamais tu devant des attitudes indésirables. Et aujourd’hui
le même cancer continue à se répandre. Donc, avec mes excuses je te dis que
parfois je suis embarrassé par tous les discours sur la souffrance des chrétiens
alors qu’on ignore la misère de nos frères et soeurs musulmans. Parfois ça me
rend furieux Aujourd’hui je te demande de m'accorder la compassion pleine de
miséricorde afin que je puisse aimer ton Église dans ses fautes – et me
rappeler que moi aussi je fais partie de cette Église et que j'ai besoin de
pardon.
J’ai encore une
question, Jésus : comment leur as-tu pardonné alors qu’ils te crucifiaient ? C’est
ce qui me hante le plus, la difficulté de pardonner à ceux qui me font du mal.
Je n’y arrive pas; je n’ai pas d’explication logique pour comprendre comment tu
as pu leur pardonner alors qu’ils te faisaient mal. Quand je cherche une
explication, tout ce dont je me souviens c'est ton appel à te suivre dans
lequel est compris le commandement: pardonnez à ceux qui vous font du mal. Donc
aujourd’hui, Seigneur, je te demande le pardon. Pardonne-moi et pardonne à mes
ennemis.
Je m'avance sur une
frontière subtile entre l’espoir et le désespoir. Je pense que c’est le même
sentiment qui habitait tes disciples après ta mort. Comme eux je veux que mon
rêve se réalise, je veux la liberté, et que le sang de 100,000 personnes n’ait
pas été versé pour rien. Je crois en ta Résurrection. Donc quand je, quand nous
nous sommes tentés de baisser les bras, quand nous voulons rester ensevelis
dans la tombe de l’esclavage, viens et relève-nous.
Viens ressusciter en
nous afin que nous puissions traverser le Golgotha et passer à la gloire de la
résurrection. Et confiant en ton Père, nous les Syriens, et tous ceux qui prient
avec nous aujourd’hui, nous pouvons dire : Dieu, entre tes mains nous remettons
notre pays. Ô Jésus, ressuscite la Syrie aujourd’hui !
Je te remercie
d'avoir écouté.
Tony
Homsy
No comments:
Post a Comment